La star des pistes a pris le « werde Tidjane »


 

 

 

 

 

 

 

Après avoir quitté les pistes d’athlétismes en 1981, Marième

Boye  première femme sénégalaise à avoir couru le 400m en

moins d’une minute, est aujourd’hui secrétaire dans un

cabinet d’architecte de la place. «Toujours très attachée» à

sa discipline, c’est dans la tribune d’honneur de l’étape

goréenne du Meeting international Iaaf de Dakar que nous

l’avons rencontrée vendredi dernier. Le menu «école –

entraînement –maison» des années 1970 – 1980, a

fait,depuis, place à celui de «boulot-maison- prière-cuisine».

 

tof

 

«Le matin je me lève, je fais ma prière habituelle. Je prends

 

 

mon café et une petite tartine, ensuite je suis d’attaque pour

toute la journée de travail. Dès que je termine au bureau, je

 

rentre directement chez-moi. Je fais également partie du

comité féminin de l’athlétisme et de l’Association des anciens

olympiens», nous confie-t-elle, avec

 

un grand sourire, témoignant de sa bonne humeur.

 

Loin des 45kg de sa jeunesse et des années de gloires sur la

 

piste, la championne, âgée de 53 ans, a pris de la surcharge

 

pondérale. Aujourd’hui, la vie spirituelle a pris le relais de la

 

piste, pour une autre course plus dure. Celle de la vie de tous les

 

jours. «A mes débuts dans l'athlétisme, j'avoue que je ne priais

 

pas beaucoup. Maintenant, je ne rate aucune prière. Je suis

 

une pure talibé tidiane. Il y a 5 ans, j'ai pris le «Werde» des

 

tidianes. Dès mon plus jeune âge, je n’avais d’yeux que pour

 

la course. A chaque fois qu’il fallait choisir un jeu, je disais

 

aux autres enfants : on fait la course. Je peux dire que c’était

 

un don de Dieu et je m’y suis donnée à fond » nous confie-

 

t-elle.

 


 

Le contrat spécial passé avec la maman

 

Pour cette mère d’un grand garçon vivant à l’extérieur du pays,

 

tout n’a pas toujours été facile sur le chemin du succès. En

 

classe de troisième, son professeur de sport, Lamine Thiam, ne

 

la croit pas capable de pratiquer l’athlétisme. Marième Mboye

 

profitera d’un cours pratique sur la distance de 60m pour de

 

pulvériser le chrono. Elle réalise deux temps exceptionnels

 

(moins de 7 secondes). Les portes de l’athlétisme lui sont alors

 

ouvertes. Naturellement. C’est ainsi qu’elle démarre les

 

entraînements à la Jeanne d’Arc de Dakar. Mais il aura fallu

 

aussi convaincre la maman. Avec un collège d’entraîneurs,

 

s’entamèrent alors la course de la persuasion « à maman ».

 

Exercice : explications argumentées sur les biens faits du sport.

 

Témoin passé avec succès. «Ma mère ne concevait pas que

 

j’arrive à la maison vers 18H 30 – 19H, après les

 

entraînements. Mon entraîneur, accompagné de mes oncles

 

qui étaient aussi des coaches de basket-ball et de football,

 

sont venus voir maman pour qu’elle me soutienne dans mon

 

choix. Le résultat de cette négociation a été concluant et elle

 

a été d’un grand apport dans ma réussite. Je devais

 

cependant remplir ma part du contrat, c’est-à-dire en obtenir

 

de bons résultats à l’école mais aussi sur la piste», se rappelle

 

Marième Boye.

 

Cette mission, l’athlète va la remplir avec abnégation. Grâce

 

aux conseils de son second coach, Ido Brera, elle s’approprie les

 

règles fondamentales qui mènent au succès. «Combativité,

 

discipline, honnêteté, sociabilité» sont son leitmotiv. Il lui

 

permit de réaliser son premier rêve dans l’athlétisme et ce dès le

 

premier essai. Elle décrocha le titre de championne du Sénégal

 

sur 400m dès sa première année de compétition, en 1974.

 

S’alignant sur 100, 200 et 400m, elle participe à 2 Jeux

 

olympiques, 3 Coupes du monde, 2 Championnats d’Afrique

 

sanctionnés par 2 médailles d’argent sur 200 et 400m, 2 de

 

bronze en relais 4X 100m et 1 de bronze sur 400m). Elle

 

participe aussi aux Jeux de la francophonie au Canada en 1974

 

qu’elle domine, remportant la médaille d’or du 400m. Elle est

 

aussi aux Jeux universitaires.

 

Côté civil, elle décroche un baccalauréat A (littéraire) au lycée

 

Van Vo, avant de suivre une formation en secrétariat

 

bureautique au cours Grand Jean et au collège Saint-Michel où

 

elle obtient un Brevet d’étude professionnel (Bep) en

 

secrétariat. 

 


 

La Ja confisque ses trophées

 

Reconnaissable sur la piste grâce à son bandeau aux couleurs de

 

la Ja, Marième Boye dit y avoir rencontré ses premiers amis. «Je

 

suis de nature timide et avoir beaucoup d’amis ne faisait pas

 

partie de mes priorités. A la Ja, Khady Fall et Yacine Mbaye

 

étaient mes partenaires. Nous sommes régulièrement en

 

contact et Yacine est ma meilleure amie depuis toujours.

 

J’avais un cousin qui faisait du tricotage et je lui ai demandé

 

de me faire un bandeau aux couleurs de la Ja afin de taper

 

dans l’œil du public. Cela à produit l’effet escompté». Hormis

 

ses amis, la reine de la piste ne pense pas devoir grand-chose

 

aux « bleu et blanc ». «La Ja ne m’a pas offert grand-chose. A

 

part l’argent de poche que le club nous donnait pour les

 

compétitions internationales. Mes médailles et mes trophées

 

dont je ne pourrais estimer le nombre, sont entre les mains du

 

club. Il en avait besoin pour célébrer ses 100 ans, depuis je

 

n’ai pas pu les récupérer. Je vais m’y atteler», décide-t-elle

 

sur le coup.

 


 

Première Sénégalaise à boucler le tour de piste en moins

 

d’une minute

 

Si la Ja conserve ses différentes médailles, sa mémoire ne peut

 

oublier l’or décrochée aux Jeux de la francophonie en 1974.

 

«C’était ma première sortie internationale et je suis revenue

 

avec l’or. Ce fut un instant magique, semblable à ce 400m que

 

j’avais bouclé en moins d’une minute, pour la première fois

 

au Sénégal. Ce fut sublime, j’étais comblée. Pour ma première

 

grande compétition et ma première année de carrière,

 

j’obtenais l’or pour mon pays le Sénégal ». Cette joie sera

 

remplacée par une désillusion en 1982. Pour les championnats

 

d’Afrique organisés au Caire en Egypte, Marième Boye termine

 

sur la deuxième marche du podium du 200m, à 8 centièmes de la

 

lauréate qui avait réalisé un chrono de 24s 7 sur 200 m. Rien que

 

d’y penser, la peine assombrit sur doux visage.

 


 

Senghor, le président des sportifs

 

La sportive a été très marquée par la gestion du sport du

 

président Léopold Sedar Senghor. «Le président Senghor

 

adorait l’athlétisme. Depuis l’alternance, le chef de l’Etat n’a

 

assisté à aucune finale sportive. Qu’il s’agisse de l’athlétisme,

 

du football ou du basket-ball. Pourtant, cette présence

 

encourage. Senghor ne ratait aucune finale national

 

d’athlétisme, de basket-ball ou de football. Il adorait le sport

 

et vénérait l’athlétisme, c’est pour cela qu’il a d’ailleurs été

 

le premier à avoir mis en jeu la coupe du meilleur athlète de

 

l’année en 1974 », se souvient-elle.

 

 

 

1250 francs de prime journalière

 

Marième Boye qui dévoue une admiration sans borne pour le

 

premier chef de l’Etat du Sénégal de nous faire savoir combien

 

et comment l’athlète existait sous Senghor. Ce n’était pas une

 

question d’argent, mais de respect et d’affection. Incomparable

 

avec ce qui se fait aujourd’hui. « Le président Senghor avait

 

même dédié un poème à ma meilleure amie Yacine Baye. Le

 

stade Iba Mar Diop a perdu son public et il faudrait peut-être

 

que la jeune génération commence par résider au Sénégal

 

pour faire revenir le monde sur les gradins. Mais les athlètes

 

de maintenant courent pour l’argent. Nous, c’était juste pour

 

le plaisir, pour les compétitions internationales, la Fédération

 

sénégalaise d’athlétisme donnait 1250 Fcfa de pécule par

 

jour et 2500 francs par jour pour les Jo».

 


 

Aujourd’hui, loin des starting-blocks, elle s’illustre au feu de la

 

cuisine pour des mets dont elle dit avoir le secret. Hormis ce

 

plaisir, le chapelet et la prière, la féline noire de la piste africaine

 

trouve son « bonheur avec Usain Bolt, Sanya Richard sur

 

400m, Yelena Isinbayeva au saut à la perche et Blanka Vlasic

 

en saut en hauteur ». Sa préférée reste toutefois la Française et

 

ancienne championne du monde, Marie José Perec. De toutes,

 

elle est celle qui a le plus marqué Marième Boye dans

 

l'athlétisme.

Gaëlle YOMI